Communiqué de presse Le Greco décodé par un peintre
Dans le roman qu'il vient de publier - Autopsie du Greco
telle son chef-d'œuvre l'Enterrement du comte d'Orgaz (1588).
mais il en vient même à douter du caractère
fictif de l'histoire. Autrement dit : et si ce que Paella écrivait
était vrai ? Ce qui est vrai, c'est la réussite
de ce premier roman. |
10 questions à Paella 1 - Qu'est-ce qui vous a permis - vous plutôt qu'un autre peintre ou même un historien - de mettre au jour ce qui est demeuré invisible durant près de quatre siècles ? Je ne dirais pas que mon parcours artistique est aussi atypique que l'a été celui du Greco, toutefois mes origines espagnoles mêlées à mon éducation française, et ma formation tant théorique que pratique ont favorisé ma perception originale de son œuvre. Je dois dire que j'ai longtemps ressenti une certaine réticence devant ses tableaux, sans doute l'aspect par trop pieux de la globalité de son travail. Pourtant en 2005 je me suis attelé à comprendre pourquoi le Greco contraignait parfois ses figures dans des contorsions ou selon des angles que ne pouvaient expliquer son adhésion au maniérisme. L'ange qui porte l'âme du comte d'Orgaz aura été le révélateur d'une première figure symbolique cachée, celle d'un serpent. Il est à noter que le Greco avait représenté à plusieurs reprises le reptile dans divers tableaux. D'autres serpents me sont apparus ensuite, puis de fil en aiguille d'autres symboles encore, une centaine sont recensés dans "l'Autopsie". 2 - À votre avis comment a-t-on pu passer à côté de cela si longtemps ? Je pense que le Greco n'avait pas l'intention d'être décrypté par ses contemporains et sûrement ne l'a-t-il pas été, du moins personne n'en a témoigné à son époque. L'Inquisition régnait, il ne pouvait se permettre d'être déjoué par ses commanditaires, ordres religieux, églises, nobles très chrétiens. Le peintre a élaboré un système de composition qui lui facilitait l'entremêlement de lignes grâce auxquelles il dessinait des figures symboliques à l'insu de tous. 3 - Comment expliquer cette pratique ? On sait du Greco qu'il lui a été primordial d'imposer sa façon de peindre, et, bien qu'il ait connu le succès, l'artiste a souvent été en conflit avec ses commanditaires au sujet de l'estimation pour la rémunération de son travail. Les peintres étaient jusqu'alors considérés comme des artisans (sauf en Italie où il y avait déjà des "stars"). Le Greco revendiquait ce statut d'artiste, non seulement capable de depeindre sinon d'élever la représentation de la foi à un rang spirituel . Cette conscience intellectuelle l'a probablement conduit à concevoir des images à multiples niveaux de lecture - un langage double - mais pas forcément sacrilège. 4 - Le hasard, la configuration complexe des lignes, ne sont-ils pas favorables à des interprétations fantaisistes, à la subjectivité ? Ce qui rend l'univers du Greco si particulier, se sont de nombreuses incongruités dans ses compositions : des drapées aux plis absurdes, l'agencement de certains corps qui frise l'agglomérat, des nuages aux formes alambiquées. C'est la comparaison des tableaux qui reprenaient le même thème avec des variantes qui m'a autorisé ces assertions. En toute objectivité, on constate que le peintre a construit un vocabulaire d'éléments plastiques à double sens (le représenté, le caché) qui par associations suggèrent une silhouette zoomorphe, un animal symbole... La répétition de ces figures au sein de nombreuses peintures confirme l'intention de l'artiste.
C'est l'incompréhension qui a fait que l'on a longtemps catalogué ce peintre de fantasque et de mystique. Ce que j'ai découvert le hisse au niveau des plus grands artistes de l'histoire de la peinture, c'est-à-dire, ceux qui ont su conjuguer le talent de la maîtrise picturale avec celui du génie de l'invention. 6 - Peut-on parler de re-naissance du Greco ? Son œuvre aura dû attendre le 19e siècle pour retrouver les honneurs, puis l'estime de ses condisciples pour leur avoir ouvert la voie de l'expressionisme. Mais cela n'était qu'une façon d'adopter l'effet stylistique de sa peinture sans imaginer que ces outrances formelles étaient régies par un système de représentation privilégiant la surface de la toile afin d'y organiser un réseau de lignes. Cette nouvelle vision de son art ajoute une dimension supérieure de son œuvre déjà fameuse. 7 - Comment se fait-il qu'un peintre s'intéresse au Greco aujourd'hui ? C'est justement la démonstration qu'il y aura toujours des leçons à tirer de nos prédécesseurs. L'art se nourrit de l'art, ce que n'aurait pas démenti
le Greco qui ne s'en est pas privé. 8 - Pourquoi un roman ? Plutôt que de rédiger une thèse, j'ai préféré le côté ludique du polar pour raconter la progression de mes découvertes telle que je l'ai vécue, de plus en plus frénétique. En percevant ces images "entre-deux" on se trouve en plein dans l'incroyable propre au romanesque, et je me suis servi de cette ambiguïté. Finalement, c'est un jeu de piste accessible à tous ! 9 - Ne cédez-vous pas à cette mode qui voudrait que tout soit décryptable ? Il y a chez certains auteurs un abus dans la mesure où l'on veut à tout prix que l'art nous révèle des secrets qui bouleverseraient le rationalisme. Le domaine des arts a permis à des individus de formuler des idées susceptibles de perturber les dogmes politiques ou religieux de leur époque. Il leur a donc fallu user d'un langage double dont les codes nous sont dorénavant hermétiques. On a mis longtemps par exemple pour retrouver un sens aux soi-disant élucubrations de Jérôme Bosch. 10 - Cette découverte aura-t-elle des répercussions sur votre création ? Forcément, comme tout évènement inhérent à ma vie dont ma peinture indirectement s'alimente. Ces deux années d'immersion dans l'univers de cet artiste représentent autant une révision du passé que de mon avenir, car je n'ai pas fini d'en entendre parler. S'il y a une leçon
à en tirer, c'est qu'il faudrait toujours chercher à
repousser les limites. |